Le village de Waudrez est aujourd’hui rattaché administrativement à l’entité communale de Binche.
Situé en province de Hainaut, il fait partie de l’arrondissement de Thuin. De ce bourg rural dépendent les hameaux de Bruille, Tout-Vent, La Commune, Champ-Perdu, Mont-de-la-Justice et Waudriselle. D’une superficie globale de 894 hectares avant la fusion de communes de 1976, ce village borde un large tronçon de l’antique chaussée romaine « Bavay – Tongres – Cologne »
Dans l’Antiquité, ce territoire était englobé dans la province de Gaule Belgique, puis de Gaule Belgique seconde. Il appartenait à la Cité des Nerviens, dont le chef-lieu, Bavay, était distant d’un peu moins de 30 kilomètres. L’agglomération moderne, dont le centre ne se superpose pas aux ruines antiques, s’étend le long de la Bruille, qui délimite à l’Ouest le petit plateau de la Ville de Binche. Le centre de l’occupation romaine doit être, quant à lui, placé aux alentours du point de confluence de la Samme et de la Bruille, les deux ruisseaux qui donnent conjointement naissance à la Princesse, affluent de la Haine et de l’Escaut.
Le lien de parenté historique existant entre Waudrez et l’antique agglomération de Vodgoriacum fut très tôt décelé et demeure incontesté.
Ce toponyme antique nous est parvenu par l’entremise de deux itinéraires romains : la Table de Peutinger et l’Itinéraire d’Antonin.
La Table de Peutinger, ancêtre de la carte routière, mentionne pour nos régions une route reliant deux chefs-lieux importants : Bavay et Cologne. Sur cette dernière, le premier vicus mentionné en partant de Bavay ([BAGA CONER]) est [VOGO DORGIACO], situé à XII leugae (soit environ 28,2 km) de la capitale nervienne. Mais le nom cité ne paraît pas fiable. Nous avons sans doute ici une transcription fautive du copiste de Colmar (comme pour Bavay, qu’il faut lire BAGACO NER(viorum)).
L’itinéraire d’Antonin, réalisé sous le règne de Caracalla (188-217) et complété sous Dioclétien (284-313), plus scrupuleux en ce qui concerne les toponymes, fait état de l’existence d’un vicus appelé « VODGORIACUM »parmi les relais impériaux. Malheureusement, son auteur mélange
distances en milliers de pas et en lieues gauloises, et replace donc l’agglomération à 12 M.P. (soit 17,8 km) de Bavay.
L’analyse contradictoire des deux documents permit néanmoins de replacer Vodgoriacum à Waudrez dès le XVIIlème siècle.
La Table de Peutinger (extrait)
Du point de vue du peuplement régional, une première vague importante d’expansion humaine toucha le Hainaut avec la révolution néolithique.
Le territoire de Waudrez semble avoir été lui-même concerné par ce mouvement, comme en attestent une hache de silex trouvée en 1977 ou
d’autres découvertes plus anciennes.
Durant l’âge du bronze puis du fer, de nouvelles populations s’installèrent dans ces contrées, apportant au passage les techniques
métallurgiques. Parmi ces dernières peuvent être mentionnées les tribus belges et plus particulièrement les Nerviens qui prirent le site de
Bavay pour place forte. Une origine celtique hypothétique du nom Vodgoriacum impliquerait qu’un village se soit développé dès cette époque
à cet endroit. Mais aucune trace matérielle n’en a été découverte.
Certains historiens locaux ont tenté de démontrer l’importance de Waudrez dans la Guerre des Gaules menée par César de 58 à 51
avant notre ère. Suivant les cas, ils en ont fait le lieu de rassemblement des Nerviens avant la bataille du Sabis, en 57 avant notre ère, ou encore
le lieu où Quintus Tullius Cicero, frère du grand orateur et légat de César, aurait établi son camp et s’y serait fait assiéger par les Belges en 52
avant notre ère. Ici non plus, hélas, aucune découverte n’est venue étayer ces glorieuses prétentions villageoises.
Après la conquête de nos régions par Rome, Bavay demeura chef-lieu de la Civitas Nerviorum, entité territoriale et administrative de la
province de Gallia Belgica. Sept voies partant de Bavay furent aménagées sous le règne d’Auguste ou de Tibère, afin d’améliorer les
communications et donc la sécurité dans ces territoires extrêmes de l’Empire.
Une série de localités, déjà existantes ou crées ex nihilo connurent alors une croissance rapide, comme villages-étapes ou relais.
Parmi ceux-ci figure Vodgoriacum.
La cité des Nerviens
Etiré tout en longueur, ce site antique a livré en son cœur près du passage de la Princesse par la chaussée antique, plusieurs tessons de céramique sigillée d’époque augustéenne, ainsi que des fragments de vases Kurkurn de tradition indigène. D’autre part, quelques vestiges d’une nécropole de la première moitié du ler siècle de notre ère furent découverts en 1911, à proximité du site. Ceci démontre que dès le premier tiers du ler siècle de notre ère, un vicus, de taille réduite sans doute, prit forme.
Les multiples découvertes archéologiques, qu’elles soient monétaires, céramiques ou autres, semblent indiquer que l’agglomération connut un vaste développement à partir de la deuxième moitié du premier siècle de notre ère, pour atteindre son acmé entre les règnes de Trajan (98-117) et de Septime Sévère (193-211).
Outre l’abondance des objets d’importation, témoigne de ceci une découverte exceptionnelle. A Péronnes-lez-Binche, soit à peine plus d’un kilomètre du site, un milliaire (I.L.B. n°136), sorte de borne kilométrique antique, fut trouvé, entier, le 25 juin l979. Conservé au Musée de Mariemont, il porte l’inscription suivante :
L’inscription du milliaire de Péronnes-lez-Binche
Enrichi par le commerce, l’agriculture ou l’exploitation de la fameuse forêt charbonnière, le vicus de Vodgoriacum semble avoir subi les contrecoups directs et indirects des invasions germaniques des IIème et IIIème siècles. En effet, le nombre de monnaies retrouvées à l’effigie des empereurs du IIIème siècle est nettement inférieur à celui du siècle précédent.
Le site connaît en tout cas une vague de destruction vers 255-260 de notre ère, sous les règnes de Valérien ler et Gallien, et est, sans doute, alors largement abandonné. La réorganisation administrative des provinces par Dioclétien, à la fin du IIIème siècle, qui fit passer le vicus dans la Provincia Belgica Secunda, et l’Edit du Maximum, qui visait à fixer les prix et les salaires, et donc à endiguer l’inflation galopante, ne changèrent sans doute pas grand chose à la vie de l’agglomération.
La réaffectation de la voie vers une vocation essentiellement militaire, avec construction de nombreux fortins de défense, eut certainement
une incidence importante pour les habitants de Vodgoriacum. Un site militaire fut-il érigé à Waudrez ? Aucun vestige ne confirme actuellement cette hypothèse. Mais la chose n’est en soi pas impossible. Les forts militaires les plus proches sont ceux de Givry à l’Ouest, et de Morlanwelz à l’Est.
La chute de Cologne, prise par les Francs en 355, donna certainement le coup de grâce au vicus. La plus récente des monnaies découvertes remonte d’ailleurs à l’empereur Constant qui régna en 347-348 de notre ère. En 388 une incursion de Francs venus de Germanie franchit le Rhin et ravagea nos régions, tuant et pillant au passage. Enfin, en 406 de notre ère, le pouvoir romain abandonnait très officiellement toutes prérogatives sur nos territoires aux Francs.
Qu’advint-il de l’ancien vicus de Vodgoriacum ? Nul ne peut le dire. Il semble en tout cas acquis que le centre de l’habitat s’était déjà déplacé sur les rives de la Bruille, un peu en amont. Le nom s’est lentement transformé en Walderiego, qui donnera Waudrez.
Le territoire de l’ancien vicus connut au cours des temps bien des régimes politiques. Après la période de l’Austrasie franque, il fit partie de l’empire carolingien, puis de la Lotharingie. A l’époque féodale, il fut le centre administratif de l’alleu de Binche sous l’autorité des Comtes de Hainaut. En 1433, avec le rattachement du Hainaut au Duché de Bourgogne, il passe sous contrôle bourguignon. Puis vint le temps des dominations espagnoles et autrichiennes. A l’époque de la révolution française et sous le régime napoléonien, Waudrez fut enfin inclus au département de Jemappes.
Ainsi a survécu le nom de l’antique vicus de Vodgoriacum…